Financement de la recherche en Afrique : les points saillants du document de travail de la master class organisée par l'IOSRS

Le financement de la recherche scientifique en Afrique est crucial pour le développement économique. Mais on observe différentes tendances concernant les flux de financement, et elles peuvent être difficiles à comprendre. En octobre 2023, l’Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS ou SGCII) a publié un document de travail à ce sujet. Les participants au forum annuel de l’IOSRS qui s’est tenu à Mombasa, au Kenya, ont échangé autour de ce document. Ce blog revient sur les principales questions qui ont été abordées.

L’état actuel du financement de la recherche scientifique en Afrique

Dans la plupart des pays africains, le niveau de financement public en matière de Recherche et Développement (R&D) est faible. Et cette tendance se confirme depuis 30 ans. De plus, le financement de la R&D par les entreprises et le secteur privé est aussi en baisse. En 2021, il s’élevait à 35% en moyenne. (Dans les pays occidentaux, il est compris entre 40 et 70%). Il y a certes des exceptions, mais cette tendance est alarmante. Et elle a deux conséquences importantes. La première est que la plupart des gouvernements africains s’en remettent aux sources de financement externes. La seconde est que les gouvernements supportent seuls la charge de trouver des fonds pour financer la recherche scientifique en Afrique.

Statistiques récentes et précises sur les dépenses publiques en matière de R&D

La situation actuelle, très délicate, est compliquée par le fait que, souvent, les statistiques nationales sur le financement public de la R&D varient ou sont incomplètes. L’IOSRS s’efforce de réaliser de manière régulière des enquêtes sur la R&D dans la plupart des pays d’Afrique. Toutefois, dans certains pays, aucune donnée sur le financement de la R&D n’est disponible. Y compris de grands pays comme le Kenya et le Nigeria. Pour les autres pays, les données datent souvent de 5 à 8 ans. Cela a un impact sur l’investissement dans la recherche scientifique. En effet, il est plus difficile dès lors de prendre des décisions éclairées. Il est fondamental, en matière d’investissement, de se baser sur des données fiables et récentes.

Le nombre des publications scientifiques augmente en Afrique

Mais le tableau n’est pas si sombre. L’IOSRS a analysé les articles rédigés ou co-rédigés par les chercheurs et les universitaires africains au cours des 20 dernières années, mettant en évidence une augmentation significative. Le nombre d’articles a presque été multiplié par 10 entre 2003 (13 470) et 2022 (128 076). Le pourcentage de publications scientifiques sur le continent a aussi augmenté, passant de 1,2% à 4,5% sur la même période. Une tendance prometteuse.

Mais on observe d’autres tendances moins réjouissantes concernant les articles publiés. Le nombre d’articles ‘internationaux’ est certes en augmentation, mais les articles ‘nationaux’ sont, eux, moins nombreux. De même, le nombre d’articles rédigés uniquement par des chercheurs africains n’a que peu augmenté.

Tendances positives dans le financement international de la recherche en Afrique

L’entrée en scène de donateurs privés est une tendance notoire qu’il faut souligner. Au cours des 20 dernières années, le financement de la recherche scientifique par des donateurs privés a augmenté. Par exemple, la Fondation Bill & Melinda Gates a financé de nombreux projets à grande échelle en Afrique. Toutefois, ces donateurs modifient ce que le document de travail appelle la ‘programmation’. La façon dont les scientifiques définissent leurs domaines de recherche est en pleine évolution. Il fut un temps où les chercheurs définissaient en effet leurs priorités en fonction de leur propre expérience de recherche. Mais, aujourd’hui, les objectifs de certains grands organismes philanthropiques font que les priorités sont définies autrement. Souvent, ces organismes veillent à ce que leurs objectifs soient en adéquation avec ceux d’autres parties prenantes. Il peut s’agir, par exemple, d’institutions comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Est-ce que cela signifie que les priorités scientifiques de l’Afrique sont définies en dehors du continent ?

Le financement multilatéral et multipartite de la recherche en Afrique

En outre, le nombre d’acteurs, d’outils et de stratégies impliqués dans le financement a augmenté. Les initiatives prennent de l’ampleur. Le plus souvent, elles sont pluriannuelles et multilatérales. Elles sont censées avoir un impact significatif, ne serait-ce que par l’importance des chiffres mis en avant. Cela rend-il le financement de la recherche en Afrique plus complexe ? Ces projets portent aussi sur des ‘centres d’excellence’ et de grandes initiatives de mise en réseau. Les ‘pôles de compétences’ qui en résultent concentrent les ressources en un même lieu. Par exemple, des Centres d’excellence africains ont été inaugurés en avril 2014 par la Banque mondiale. Cela signifie-t-il que la recherche est plus centralisée dans un nombre plus restreint de sites ?

Par ailleurs, on accorde aussi davantage d’attention au financement d’initiatives pour le développement des compétences. Des programmes consacrés exclusivement aux bourses de recherche en sont un exemple. Le document de travail explicite aussi dans quelle mesure les initiatives plus traditionnelles reposent sur le financement de chercheurs en tant qu’individus. Les programmes de développement des compétences évoluent-ils eux aussi, au fur et à mesure que les mécanismes de financement se transforment ?

Sujets d’inquiétude

Ces tendances ont un impact sur le financement de la recherche scientifique en Afrique. Et il y a des raisons de s’inquiéter. Le document de travail revient sur un incident révélateur, qui concernait une omission. Les auteurs d’un courrier adressé à la revue Nature Medicine, publié en 2021, évoquaient le financement, à hauteur de 30 millions de dollars, d’un projet scientifique en Afrique. Toutefois, le communiqué de presse sur ce projet ne mentionnait aucune des institutions partenaires africaines.

En outre, certains programmes concernant des maladies, le paludisme par exemple, sont tributaires des donateurs. Une telle dépendance peut affaiblir les systèmes de santé dans les pays à faible revenu. Il est crucial de s’approprier, au niveau local, la recherche scientifique et son financement. En raison des financements assurés par des donateurs internationaux, certains programmes sanitaires ne relèvent que d’ONG occidentales. Cette dépendance nuit à la compétence des programmes nationaux et fait que les différents pays sont moins à même de s’approprier leur recherche scientifique. Les institutions africaines doivent jouer un rôle de leadership. Il est essentiel de tenir compte de leur expérience.

On observe aussi d’autres tensions. Par exemple, l’efficacité à court terme, par opposition à l’impact sur le long terme. Ces tensions mettent en exergue la nécessité de développer les compétences et l’état de préparation au niveau local, que ce soit en termes d’administration ou de stratégie.

Quels sont les défis que doit relever la coopération panafricaine?

Ces tendances font que la coopération panafricaine est d’autant plus importante, mais elles pourraient être freinées. Le document de travail indique les moyens de promouvoir cette coopération. L’Union africaine a un rôle important à jouer dans le domaine de la recherche scientifique panafricaine. Le document évoque par exemple l’importance de l’Université panafricaine. Il s’intéresse aussi à l’Institut africain de développement, qui fait partie de la Banque africaine de développement. Ce document analyse les programmes de l’Union européenne et des Nations unies. Il examine les actions entreprises par les organismes, les fondations philanthropiques et les institutions de l’enseignement supérieur. Et, bien entendu, il pose un regard critique sur le travail de l’IOSRS.

Le fait de dépendre de financements internationaux continue de susciter des inquiétudes. Il faut trouver des solutions, face à des relations de pouvoir inégales. Ce document met en avant le travail qui doit être effectué pour comprendre les systèmes de suivi, d’évaluation et d’apprentissage. Il souligne les obstacles que doit surmonter une coopération panafricaine efficace en termes de recherche scientifique. Il est rare, par exemple, que le financement de la recherche en Afrique se concentre sur la promotion d’objectifs panafricains. La gouvernance des financements multilatéraux est de plus en plus complexe. L’investissement dans la recherche scientifique est faible. Il repose essentiellement sur les financements étrangers. Les donateurs ont leurs propres objectifs et priorités, mais sont-ils toujours en adéquation avec les besoins des populations africaines ?